Cours (terminales technologiques) - La justice et la loi

Publié le par Bégnana

Introduction.

On pense souvent que la justice consiste à appliquer la loi telle qu’elle est donnée dans la société. On parle alors de justice comme institution. Par loi, on entend une obligation qu’il est au pouvoir de l’obligé de respecter ou non. Il a la liberté de le faire, sans quoi c’est une contrainte. La justice ainsi conçue diffère selon les sociétés. Dans certaines, ce sont les parties lésées qui rendent la justice. Elle a la forme alors de la vengeance. Dans d’autres, seuls des juges désignés comme tels peut la rendre. C’est la justice instituée. Ce qui est permis dans telle société (la polygamie) est interdit dans d’autres. Toujours est-il que dans ses différentes formes, la justice paraît relative.

Toutefois, certaines lois semblent injustes. Par exemple, le droit de vie et de mort du paterfamilias romain sur ses enfants. Ou au contraire, l’application stricte de la loi semble parfois injuste. La vengeance elle-même est susceptible d’être injuste dans la mesure où la peine infligée peut aller au-delà du préjudice subie. On pense alors pour contester la justice instituée une justice légitime, c’est-à-dire moralement fondée, absolue, c’est-à-dire identique quelles que soient les société. Elle se distingue de la justice simplement légale qui a cours dans les différentes sociétés.

Peut-on admettre une telle justice ? Quelle relation cette justice si elle existe entretient avec la loi ? Est-elle la mise en œuvre de la loi ou bien est-elle extérieure en un sens à toute loi ?

 

I. La justice naturelle.

 

La loi limite, mais elle protège aussi. Ce qui est interdit aux uns protège les autres. Par exemple, l’interdiction du meurtre, si elle est respectée, garantit que la vie de chacun est protégée. La loi exige donc une sanction lorsqu’elle est transgressée. Cette sanction peut être une réparation – par exemple remplacer ce qu’on a détruit ou payer une indemnité. Elle peut être aussi un mal infligé au criminel : la mort, la mutilation, l’esclavage, l’emprisonnement, etc. La sanction exerce une contrainte mentale sur ceux qui refusent l’obligation.

En ce sens, la justice instituée paraît préférable à la vengeance car le juge n’étant pas une des parties en conflits est susceptible d’être impartial, c’est-à-dire de juger sans favoriser une des parties. Par contre, dans la vengeance, la partie lésée ne peut qu’être partiale, y compris pour déterminer qui est coupable. En outre, elle peut se satisfaire de ce qui arrange ses intérêts comme dans ses sociétés où, pour le prix d’un meurtre, on accepte le don d’une femme (cf. Alain Testart, Avant l’histoire, 2012).

Or, on peut contester le règne de la loi parce qu’elle protège les faibles comme le fait Calliclès, le personnage fictif du Gorgias de Platon. Il soutient que les faibles établissent comme loi suprême l’égalité avec les autres par impuissance et par intérêt. Par impuissance puisqu’ils sont faibles. Ils subissent donc les préjudices des forts. Par intérêt puisque ce sont eux, les faibles, qui sont protégés par la loi. Les forts quant à eux sont empêchés par la loi à exercer leur force. La justice naturelle ou légitime exige donc selon Calliclès que les plus forts aient plus que les plus faibles. Et lorsqu’ils n’y arrivent pas, c’est que les plus faibles les persuadent que c’est mal. Du point de vue de la nature, c’est l’inégalité qui est juste, la domination des forts sur les faibles.

Or l’idée que les plus forts dominent les plus faibles est contestable. Si on les définit par la force physique, aucun homme n’ait absolument le plus fort. Chaque homme pouvant infliger la mort à un autre, les hommes sont physiquement égaux comme le soutient Hobbes dans le Léviathan (1651 ; chapitre XIII). Si on définit les plus forts comme les plus intelligents ou les meilleurs moralement, ils n’ont aucune raison de prendre plus que ce qu’il leur faut. C’est l’objection que faisait Platon à cette conception. La justice légitime peut se définir plutôt comme la répartition des biens et des honneurs proportionnelle aux mérites de chacun comme le soutiennent Platon dans Les lois (~347 av. J.-C. ; livre VI) et Aristote dans l’Éthique à Nicomaque (iv° av. J.-C. ; livre V).

Dès lors, la loi n’est pas juste lorsqu’elle accorde la même chose, c’est-à-dire des droits (vote, expression, autorité, propriété), etc. à des individus inégaux. La démocratie absolue est donc un régime absurde et injuste comme le soutient Platon dans La République (iv° av. J.-C. ; livre IX). La loi n’est pas juste non plus lorsqu’elle accorde moins à qui mérite plus et inversement.

En outre, la justice n’est pas l’application de la loi car elle consiste à tenir compte des cas particuliers. Aussi un gouvernement peut être juste sans jamais appliquer la moindre loi s’il est capable de procéder à la répartition des biens et des honneurs en tenant compte de la singularité de chaque individu. C’est même le gouvernement le meilleur selon Platon dans Le politique (première moitié du iv° av. J.-C.). Un juge peut avoir à juger non pas selon la loi mais en fonction du problème qui lui est posé lorsqu’un différend non prévu par la loi apparaît. (Ce fut le cas lorsque les tribunaux français eurent à juger de la légitimité de l’interdiction du lancer de nains dans les établissements de nuit qui arguaient de contrat de travail en bonne et due forme. Ils les interdirent au nom du principe de la dignité humaine).

 

Néanmoins, que les hommes soient différents du point de vue de l’intelligence voire moralement n’autorise nullement à considérer qu’ils doivent être traités inégalement. Car, sinon, les prétendus meilleurs seront tentés de faire passer pour juste leur intérêt, ce qui définit un gouvernement tyrannique. Dès lors, l’égalité devant la loi n’est-elle pas constitutive de la justice ? N’est-elle pas la loi de la justice légitime ? N’est-elle pas une garantie contre l’arbitraire, c’est-à-dire contre le despotisme ou la tyrannie ?

 

II. La justice comme égalité devant la loi.

 

En effet, quelles que soient les différences entre les hommes, on peut penser qu’ils sont fondamentalement égaux en droits. Ni les centimètres, ni les kilogrammes, ni le QI ne fondent des droits supérieurs. Même le criminel est à égalité avec l’honnête homme. En effet, punir, c’est infliger la peine méritée. Elle doit être la même pour quiconque a commis le même crime ou délit.

L’égalité devant la loi peut être le critère de la justice ou la loi des lois. Car chacun a alors les mêmes droits et devoirs que les autres. Une telle loi produit donc l’impartialité. On peut la déduire du fait qu’elle serait choisie par quiconque s’il ignorait sa condition sociale ou biologique selon l’argument du philosophe américain John Rawls (1921-2002) dans sa Théorie de la justice (1971). C’est ce que signifie qu’à l’état de nature, c’est-à-dire dans l’hypothèse où les hommes ne sont pas régis par des relations de pouvoir instituées, les hommes, quoique différents sont tous naturellement égaux comme l’ont reconnu les philosophes qui ont pensé la justice à partir de ce concept théorique (cf. Hobbes, Léviathan, ch. XIII ; Locke, Second traité du gouvernement civil, 1690, ou Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755 ; Kant, Doctrine du droit, 1797).

Ensuite, grâce à une telle loi, personne ne peut dominer les autres. En effet, la domination implique que certains aient des droits qui correspondent à des devoirs chez les autres. Si les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous, nul ne peut m’imposer ce qui ne s’impose pas à lui. Même une majorité ne peut opprimer une minorité. La démocratie est ainsi fondée : elle n’est pas la tyrannie des faibles. On peut appeler république ce gouvernement de la loi.

Enfin, tous doivent participer à l’élaboration de la loi, au moins indirectement par leurs élus ou députés. Car, qui – sinon les parents ou les tuteurs légaux tant que l’enfant ne peut décider par lui-même – peut prétendre décider à la place des autres ? Une fois adulte, chacun peut décider par lui-même. Mais pour que la décision de chacun ne se heurte pas à celle des autres, un espace de décision en commun est la condition de la légitimité de la loi. C’est ce qui fait de la loi une obligation, c’est-à-dire une règle choisie pour réaliser le bien, et non une contrainte qui s’impose à la volonté par une autre volonté qui recherche son seul intérêt. Elle permet la liberté comme autonomie, à savoir se donner à soi-même sa propre loi.

 

Cependant, l’égalité devant la loi n’interdit pas l’inégalité matérielle. Or, le riche exerce plus facilement ses droits, alors que le pauvre souvent ne peut les exercer. Aussi ne faut-il pas égaliser les conditions pour qu’il y ait justice ? Mais n’est-ce pas introduire une forme de tyrannie ?

 

III. La justice sociale.

 

La différence entre les riches et les pauvres impliquent que seuls les premiers bénéficient vraiment des lois qui les protègent. L’idée de faire des lois pour garantir par la loi la vie de chacun et surtout la propriété n’a-t-elle pas été inventée par les riches eux-mêmes selon l’hypothèse de Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755) ? Quant aux pauvres, leur situation les empêche de pouvoir obéir aux lois sans se nuire à eux-mêmes. Si Jean Valjean, le héros des Misérables (1962) de Victor Hugo (1802-1885) n’avait pas volé de pain, il en serait mort. Comment penser que la stricte application de la loi n’est pas alors injuste. Aussi est-il intéressant de rappeler que (saint) Thomas d’Aquin, dans la Somme théologique (xiii° siècle) considérait qu’il n’y a pas de vol si le pauvre ne peut faire autrement que prendre ce dont le riche n’a pas besoin pour vivre (ce qui ne justifie pas le fait de voler le superflu des autres pour soi).

Il paraît alors légitime que la justice établisse une égalité réelle. On peut parler alors de justice sociale. Elle consiste à considérer l’égalité matérielle comme un idéal à réaliser. En ce sens, une loi peut impliquer une forme d’inégalité qui consiste à donner plus à ceux qui ont moins ou à faire contribuer plus ceux qui ont plus. De même, une décision politique ou de justice peut ne pas suivre la loi établie apparemment égale pour réaliser l’égalité.

Or, si un gouvernement doit égaliser les conditions en intervenant dans la sphère des échanges de biens matériels, c’est-à-dire l’économie, il devra décider de tout. Il doit donc gouverner de telle façon que chacun soit l’égal de l’autre et non de façon à ce que chacun cherche ce qu’il estime être son bien. Bref, c’est une forme de tyrannie particulière qu’on peut nommer totalitarisme en ce sens qu’elle vise à régir la totalité de la vie des individus au nom de la justice sociale.

Pour éviter le totalitarisme, on peut, plutôt que de nier l’exigence de justice sociale, intervenir par la redistribution. Autrement dit, le gouvernement préserve l’espace le plus grand possible de liberté individuelle tout en demandant à tous une contribution proportionnelle aux revenus pour participer à l’effort nécessaire pour aider ceux qui ont le moins. Une telle exigence permet d’éviter les conflits entre riches et pauvres. Surtout, elle permet de donner un contenu à l’égalité devant la loi. Celle-ci demeure le principe.

Car, la justice sociale ne peut aller à l’encontre de la justice comme égalité devant la loi, de sorte que son instauration doit être l’objet d’une élaboration démocratique. Sans quoi, elle n’est qu’une illusion ou une marionnette agitée par ceux qui veulent, en son nom, exercer ce pouvoir que les Anciens appelaient une tyrannie.

 

Conclusion.

 

Ainsi s’il est bien vrai que toute loi n’est pas juste, ce n’est pas vrai de la loi entendue comme obligation qui a pour forme l’universalité et pour condition que chacun la veuille ou au moins puisse la vouloir. Une telle loi est le principe de toute justice même lorsque le cas est particulier. Car c’est toujours l’égalité et la réciprocité qui fait la justice. Elle n’interdit pas mais encourage une justice sociale qui tend à des conditions égales afin que chacun puisse vivre librement avec et non contre les autres.

 

 

 

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C
Bonjour, si vous lisez encore vos commentaires...2 ème paragraphe de l'introduction, avant dernière phrase, il manque un "s" à "société". Bien à vous, votre vieille "correctrice" comme vous aviez l'habitude de me nommer
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C
caca
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