Sujet et corrigé (terminales technologiques) : explication d'un texte de Hegel sur l'état de nature

Publié le par Bégnana

On décrit souvent l’état de nature comme un état “parfait” de l’homme, en ce qui concerne tant le bonheur que la bonté morale. Il faut d’abord noter que l’innocence est dépourvue, comme telle, de toute valeur morale, dans la mesure où elle est l’ignorance du mal et tient à l’absence des besoins d’où peut naître la méchanceté. D’autre part, cet état est bien plutôt celui où règnent la “violence” et l’“injustice”, précisément parce que les hommes ne s’y considère que du seul point de vue de la nature. Or, de ce point de vue-là, ils sont “inégaux” tout à la fois quant aux forces du corps et quant aux dispositions de l’esprit, et c’est par la violence et la ruse qu’ils font valoir l'un contre l'autre leur différence. Sans doute la raison appartient aussi à l’état de nature, mais c’est l’élément qui a en lui prééminence. Il est donc indispensable que les hommes échappent à cet état pour accéder à un autre état, où prédomine le vouloir raisonnable.

Hegel

 

 

Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.

 

Questions

 

1) Dégagez la thèse de l’auteur et les articulations du texte.

2)

a. Expliquez « l’“innocence” est dépourvue, comme telle, de toute valeur morale ».

b. Pourquoi les hommes sont-ils inégaux du point de vue de la nature ?

c. Décrivez l’état de nature.

3) En quoi la culture est-elle indispensable pour les hommes ?

 

 

Corrigé

 

 

[Ce texte est un extrait de Propédeutique philosophique, le cours que Hegel donnait au gymnasium de Nuremberg de 1808 à 1816, gymnasium est le nom du lycée en Allemagne.]

 

Les hommes vivent en société où ils doivent faire des efforts pour gagner leur vie en se livrant à des tâches pas toujours intéressantes pour obtenir parfois le minimum vital. Ils doivent aussi se plier à des règles morales. D’où les représentations de situations où ils ne connaîtraient pas les exigences de la vie sociale. Parmi ces représentations on trouve celle de l’état de nature. A-t-elle une valeur pour comprendre l’homme et ce qu’il lui faut ? Telle est la question à laquelle, Hegel, l’auteur de cet extrait, répond négativement.

 

1) La thèse de l’auteur est que l’homme ne peut véritablement être homme que s’il sort de l’état de nature et accède à un état où il peut mettre en œuvre sa raison pour vivre.

L’auteur commence par rapporter une thèse qui n’est pas la sienne selon laquelle l’état de nature est pour l’homme l’état de la perfection au double sens où l’homme y serait heureux, c’est-à-dire que ses désirs seraient satisfaits et où en même temps l’homme y aurait la plus grande valeur morale. Hegel va opposer deux arguments à cette thèse.

Précisant dans un premier temps que l’état de nature étant celui de l’innocence puisque l’homme n’y est pas cultivé, il ne peut pas agir moralement. Dans l’état de nature non seulement l’homme ignore ce qu’est le mal mais il n’éprouve aucun des besoins qui rendent possible la méchanceté. Dès lors, l’homme ne pouvant mal agir, ne peut bien agir.

Dans un second temps, Hegel nie l’image idyllique d’hommes qui vivent heureux. Il qualifie l’état de nature comme un état de violence et d’injustice en arguant que les hommes ne peuvent se considérer les uns les autres que naturellement. On est surpris de lire que l’homme est à la fois innocent et violent et injuste. Même les guillemets ne suffisent pas à faire immédiatement arrêter cet étonnement. Qu’entendre par là ? Bien sûr l’homme ne peut naturellement mal agir intentionnellement. Par contre, il peut le faire sans intention. Justement, naturellement les hommes sont inégaux selon Hegel physiquement et intellectuellement. Or, comme ils n’ont aucune idée du bien et du mal, ce n’est que par la force physique ou par la force intellectuelle qu’ils peuvent se manifester et se montrer les uns aux autres leur valeur. Le conflit entre les hommes est donc inéluctable. Par conséquent, ils ne peuvent non plus être heureux.

Hegel concède que l’homme à l’état de nature est doué de raison. Toutefois, celle-ci dans la mesure où il n’est pas cultivé n’a pas de connaissances notamment morales. Par conséquent, ce n’est pas elle qui domine mais ce que Hegel nomme l’élément, c’est-à-dire ce qu’il y a de naturel en lui.

Le philosophe peut donc en conclure que l’état de nature n’étant pas pour l’homme la vie parfaite existentiellement et moralement, l’homme doit quitter un tel état pour arriver à un autre où ce qui est premier c’est « le vouloir raisonnable ». Par là on doit entendre un état où les hommes savent ce qui est bien et mal et se comportent les uns vis-à-vis des autres en fonction de cette connaissance.

 

2)

a. Le terme d’“innocence” a deux sens, soit il désigne l’état de celui qui n’a commis aucun méfait mais qui sait ce qui est bien ou mal, soit il désigne l’état de celui qui ne connaît pas le bien et le mal et qui par conséquent ne peut bien ou mal agir. C’est ce dernier sens qui permet de comprendre en quoi l’innocence est dépourvue de toute valeur morale. Car qui ignore le bien et le mal certes ne peut mal agir à proprement parler mais il ne peut non plus être crédité d’une bonne action. Comme un animal ou une chose, il est moralement neutre, c’est-à-dire n’a aucune valeur morale. À l’inverse le criminel en a une, négative certes, mais une quand même.

 

b. Pour qu’on puisse dire des hommes qu’ils sont inégaux, il faut pouvoir les différencier de telle façon qu’on puisse mesurer les différences quantitatives entre eux. Or, selon Hegel, les inégalités naturelles entre les hommes sont physiques et intellectuelles. Physiquement on comprend qu’il y a des hommes plus forts que d’autres d’un point de vue musculaire. Intellectuellement, les hommes étant ignorants à l’état de nature, Hegel les distingue du point de vue de la ruse. Celle-ci consiste à utiliser des moyens plus ou moins trompeurs pour vaincre les autres. Dès lors, certains hommes étant plus rusés que d’autres, ils sont, de ce point de vue, supérieurs intellectuellement, ce qui ne veut pas dire moralement.

 

c. L’état de nature peut être décrit comme un état de non moralité où, les hommes, ignorant le bien et le mal, sont susceptibles de vivre en société mais où les plus forts dominent les plus faibles par la force physique et la ruse, où il n’y a pas de lois qui soient les mêmes pour tous et donc de justice et où le combat règle tous les différents. En cet état de nature l’homme vit de façon quasi animale sans user de sa raison pour régler sa conduite selon des valeurs morales.

 

3) Les hommes vivent mal le fait de devoir se plier à des règles. L’état de nature, le paradis où l’homme ne connaît pas encore les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ou encore l’âge d’or, autant de conceptions de l’innocence qui aurait dispensé une humanité première de tout effort. Le serpent, les dieux ou la nécessité en ont décidé autrement. L’homme s’est cultivé. Et sans cette culture il ressemblerait plutôt à un animal ou à un simple d’esprit. Toutefois, on ne peut pas se représenter autrement l’homme que comme doué de raison. Il semble donc qu’il puisse naturellement en user et que la culture ne lui soit pas indispensable. Ce qui amène à se demander en quoi selon Hegel la culture est indispensable pour les hommes.

 

Il est clair que la culture est indispensable pour que les hommes apprennent la connaissance du bien et du mal. En effet, l’état de nature, c’est la représentation des hommes avant toute éducation. Donc les hommes dans cet état n’ont aucune connaissance. Ils ne savent pas comment agir les uns vis-à-vis des autres. C’est donc par la culture, c’est-à-dire par l’éducation qu’ils peuvent sortir de l’état de nature et acquérir le vouloir raisonnable qui leur permet d’être véritablement des hommes.

Cependant, pour leur apprendre le bien et le mal il leur faut des hommes qui eux-mêmes ont été éduqués et ainsi de suite à l’infini. Dès lors, la culture est-elle absolument indispensable à l’homme selon Hegel ? La sortie de l’état de nature n’est-elle pas naturelle ?

 

C’est qu’en effet, Hegel admet que les hommes doivent sortir de l’état de nature. Il ne dit pas que cette sortie doit être l’effet de la culture. On peut donc penser que les hommes se décident, en constatant les inconvénients de l’état de nature, à en sortir en se mettant d’accord pour obéir à certaines lois.

Or, les hommes usent de violence et de ruse entre eux selon Hegel. Ils ne peuvent donc se faire confiance. Par conséquent, la culture n’est-elle pas indispensable ? Et qu’entendre par là ?

 

S’il est vrai que les hommes sont inégaux, alors certains hommes ne peuvent pas ne pas dominer les autres et ainsi créer des sociétés où la force et la ruse dominent. Dès lors, les autres hommes sont contraints à l’obéissance. Ils apprennent donc à se maîtriser. Dès lors, leur raison peut prendre le dessus. Les hommes peuvent ainsi en arriver à tenter de changer l’ordre des choses pour que règne le seul vouloir raisonnable.

 

Ainsi la culture est bien indispensable à l’homme. Hegel l’a montré en réfutant la thèse de l’état de nature comme état parfait de l’homme du point de vue existentiel et moral. La violence physique et intellectuelle de l’homme ne peut finalement que l’amener à apprendre à ses dépens qu’il doit user de la raison dont la nature l’a dotée.

 

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