Cours (terminales technologiques) - La liberté

Publié le par Bégnana

Introduction.

« Je suis libre, je fais ce qui me plaît. » Qui ne l’a dit ? Qui ne l’a pas au moins pensé ? Telle est la formule de la conception la plus courante de la liberté.

Pourtant, sommes-nous moins libres en refusant volontairement de suivre la voie du plaisir ? Et si chacun faisait ce qui lui plaît, la vie en société serait-elle impossible ? Faut-il être libre contre les autres ou avec les autres ?

Dès lors, y a-t-il des conditions qui rendent possibles la liberté ? Et si oui lesquelles ?

 

I. L’absence de contraintes.

Faire ce qui nous plaît est un idéal auquel tous les hommes aspirent. Ce qui leur manque, c’est le pouvoir. Dès lors, est-ce cette impuissance du plus grand nombre qui explique qu’on prône la modération des désirs comme le soutient Calliclès le personnage fictif du Gorgias de Platon ? Selon lui, les faibles, c’est-à-dire le grand nombre, font des lois pour se prémunir les uns des autres et surtout des plus forts. Ils persuadent ces derniers qu’il faut être tempérant, c’est-à-dire qu’il faut user modérément des plaisirs. Ce n’est que leur intérêt que les faibles poursuivent. Qui a le pouvoir doit donc l’exercer et satisfaire ses désirs sans modération aucune pour être libre. Autrement dit, tous les hommes veulent faire tout ce qui leur plaît. C’est par impuissance et par contrainte qu’ils acceptent d’obéir aux lois que leur impose leur société. Par impuissance de dominer les autres. Par contrainte, car, c’est la seule perspective du châtiment, bref, les conséquences négatives qu’ils se représentent de leurs actes, qui les empêchent de voler, de violer et de tuer. Ce n’est pas parce que c’est mal. Aussi, la seule vie véritablement libre est celle du tyran. Car, le simple criminel ne peut agir au grand jour. La liberté est-elle vraiment dans la tyrannie ?

Car, le tyran vit nécessairement dans la crainte. On peut l’illustrer avec l’histoire de Damoclès que nous connaissons par le récit de Cicéron dans les Tusculanes. C’était un flatteur du tyran Denys de Syracuse. Aussi le louait-il pour son bonheur. Denys le met à sa place, sur un lit richement décoré, recevant tous les plaisirs des sens. Il découvre qu’est suspendue au dessus de lui, tenant par un fil, une épée. Il préféra quitter la place. Mais le tyran, même lorsqu’il a appris qu’il n’y a aucun bonheur dans sa vie, n’a même plus la liberté d’abandonner le pouvoir car il risque sa vie. Bref, le tyran ne connaît ni la liberté, ni même le bonheur.

Comme je ne suis pas seul et que la réalisation de mes désirs m’oppose parfois aux autres, comment faire alors pour être libre ? Il faut et il suffit que me soit garanti un espace où je puisse faire ce qui me plaît. Tel est le rôle de la loi et surtout de l’État qui la fait appliquer. Aussi puis-je le penser comme institué par une sorte de pacte ou de convention qui fait que chacun se dessaisit de son droit de se gouverner au profit d’une personne morale ou physique dont le rôle est de préserver la paix comme le propose Hobbes dans le Léviathan (1651 ; chapitre XVII). En fixant des règles à respecter, à savoir des lois, l’État me permet de faire ce qui me plaît dans le domaine qui échappe à toute prescription. La liberté se définit alors l’absence d’oppositions extérieures, c’est-à-dire l’absence de contraintes comme Hobbes le soutient dans le Léviathan (chapitre XXI). Ma liberté reste absolue lorsqu’il s’agit de mon intégrité physique car, le droit de me défendre, y compris contre l’État, ne peut m’être ôté car c’est pour lui que j’obéis aux lois (cf. Hobbes, Léviathan, chapitre XIV). Ma liberté est relative au silence de la loi pour le reste (Hobbes, Léviathan, chapitre XXI).

Toutefois, la loi annihile toute liberté si elle est faite pour certains contre d’autres. Et se contenter de suivre ses désirs, c’est en être l’esclave. C’est ce que montrent les addictions. La liberté ne consiste-t-elle pas plutôt à se décider par soi-même ?

 

II. Le libre arbitre.

On définit alors la liberté comme libre arbitre, c’est-à-dire comme la capacité à agir par soi-même sans être déterminé par des causes externes ou internes. Un animal qui ne subit aucune contrainte mais qui est déterminé à agir par son instinct ou par l’attrait du plaisir n’est pas libre. L’homme l’est-il ? Sur quoi se fonde-t-il pour le penser ?

Le libre arbitre apparaît comme un fait de conscience. Qui réfléchit sur lui-même sent qu’il dépend de lui d’agir ou non ou du moins de le tenter. Aussi, si on ne fait pas toujours ce qui nous plaît, fait-on toujours ce qu’on veut. Qui cède à ses désirs en est responsable. Qui est dominé par une passion a été responsable au départ même s’il ne peut plus s’en libérer comme la Phèdre de la pièce éponyme de Sénèque à qui la nourrice explique que si elle avait lutté dès le début contre son sentiment amoureux contre son beau-fils, Hyppolyte, elle l’aurait vaincu (acte I, scène 2). On peut donc dire que même lorsqu’on se sent dominé par une passion, notre esclavage demeure volontaire. En outre, si les animaux sont gouvernés par l’instinct, il n’en va pas de même de l’homme. On le voit souvent faire le contraire de ce que la nature exige. Cela atteste qu’il est doué de libre arbitre comme Rousseau le souligne dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755).

De plus, sans libre arbitre il n’y aurait pas de morale, c’est-à-dire de bien et de mal. Car s’il n’est pas possible de vaincre ses désirs au nom de la morale, il n’y a ni bonne ni mauvaise action. En effet, lorsqu’on reproche à quelqu’un d’avoir mal agi, on lui reproche d’avoir fait ce qu’il a fait avec l’idée qu’il aurait pu et dû faire autrement. Bref, tout reproche implique la liberté. À l’inverse, on excuse celui dont on estime – comme le fou – qu’il n’a pu agir autrement.

Enfin, l’idée de morale prouve la liberté. Car si quelqu’un pense pouvoir agir pour le bien sans intérêt, voire au détriment de son intérêt, c’est qu’il découvre en lui la liberté comme Kant l’a indiqué dans la Critique de la raison pratique (1788). Il peut résister au plaisir par crainte de la mort, donc déterminé par le désir de vivre, mais il sent en lui le pouvoir de préférer son devoir moral plutôt que la vie. Il en va ainsi de ces Justes qui, partout en Europe et au péril de leur vie et sans rémunérations, ont protégé, caché, aidé des Juifs durant l’occupation nazie.

Pourtant, malgré le supposé témoignage de la conscience, on peut refuser la notion de liberté comme capacité à agir de soi-même. D’abord nous ignorons peut-être les causes qui nous poussent à agir. Autrement dit, la conscience n’est pas par elle-même une connaissance.

Ensuite, au moment où nous agissons, il y a toujours un mobile qui est le plus fort et qui détermine l’action comme le soutient Schopenhauer dans son Essai sur le libre arbitre.

Dira-t-on que c’est nous qui avons choisi ce mobile et qu’il n’est pas une cause déterminante ?

Mais avant l’action l’hésitation n’est pas choix. Et au moment de l’action le choix est fait. La supposée libre décision n’est possible ni avant ni pendant et à plus forte raison après l’acte. Dire qu’il aurait pu être autre n’est qu’une vue de l’esprit.

Enfin, l’idée de libre arbitre conduit à se croire sans preuve maître de soi ; elle n’est qu’une forme d’orgueil de l’homme si l’on en croit Nietzsche dans Humain, trop humain.

Si donc on laisse de côté la notion de libre arbitre, y a-t-il des conditions qui nous permettent de parler de liberté ou bien doit-on considérer que cette notion n’a aucun sens ?

 

III. L’action libre.

Nous ne sommes véritablement libres que lorsque l’action émane de nous et non quand elle nous est imposée. Aussi, à supposer même qu’on n’admette pas la notion douteuse de libre arbitre, il apparaît nécessaire de dégager ce qui permet d’être libre. Ainsi, même si on admet qu’il est libre de se décider à s’évader, dire qu’un prisonnier est libre comme Sartre le soutient dans L’être et le néant (1943), c’est contredire la réalité de l’enfermement qui n’est pas voulue. Les conditions extérieures de la liberté lui sont essentielles car sinon ne serait libre que celui qui a l’intention de l’être : ce qui n’est pas suffisant à distinguer la liberté du simple souhait. Dire qu’il faut un commencement de réalisation pour qu’on puisse parler d’une intention réelle, ce que Sartre reconnaît dans L’être et le néant, c’est dire que la réalisation n’est pas sans conséquence sur la liberté et donc sa définition. Je suis donc libre lorsque je réalise ce que j’ai voulu. Et lorsque le sort m’est contraire, par définition, je suis contraint. Or, comme le monde n’est pas fait pour moi, comment puis-je être libre ?

Une solution radicale, celle prônée par les Stoïciens, comme Sénèque, Épictète ou Marc-Aurèle, consiste à vouloir ce qui arrive comme cela arrive, y compris ce qu’on est du point de vue social. Dès lors, quoi qu’il arrive, on est libre. Dans le langage courant, on dit d’un homme qui accepte ou subit sans se plaindre un sort contraire qu’il est stoïque. Il y a ainsi une certaine vérité de cette conception relativement à la mort. Nous ne pouvons rien contre elle. Plutôt donc que de se lamenter de devoir mourir, il paraît préférable de se concentrer sur la vie qui nous est donnée.

Toutefois, une telle conception de la liberté fait de l’individu finalement un être relativement passif. Aussi est-il préférable de rechercher ce qui peut permettre de réaliser ce qu’on veut, quitte, lorsqu’on a fait tout ce qui est en notre pouvoir, à accepter ce qui arrive.

Du côté des choses, c’est la technique, qui fait la réalité de la liberté de l’homme. En effet, par elle, il réalise bien plus que ce que son corps lui permet de faire. Il a pu ainsi aller sur l’eau et sous l’eau, dans les airs. En faisant ce qu’il a conçu, il se montre à lui-même que sa volonté a une réalité comme Hegel l’a montré dans sa Propédeutique philosophique (1808). Mais la technique à elle seule ne suffit pas. D’abord parce qu’elle crée de nouveaux désirs qui augmentent la dépendance de l’individu. Aussi faut-il être aussi capable de ne pas lui attribuer plus de mérite qu’elle n’en a. Il faut éviter d’en devenir esclave en voulant toujours plus d’objets pour des usages parfois discutables. Et surtout, la technique est insuffisante, parce que l’homme ne vit pas seul, il vit avec d’autres hommes.

Du côté des hommes donc, seule la loi rend libre. Non pas la décision arbitraire du tyran ou le délire idéologique du chef totalitaire. Il ne s’agit pas alors de loi. Pour qu’il y ait loi, il faut que la règle soit la même pour tous selon la juste conception de Rousseau dans Du contrat Social (1762, livre II, chapitre 6). Mais surtout, bien conçue, réfléchie, visant à permettre à tous et à chacun de vivre en harmonie, elle permet aux hommes d’être utiles les unes aux autres car, comme Spinoza l’a écrit dans son Éthique (posthume 1677 ; IV, scolie de la proposition 18) « rien n’est plus utile à l’homme que l’homme lui-même ». C’est la raison pour laquelle, la loi doit être élaborée par le plus grand nombre dans la liberté d’expression. Il ne faut pas entendre par là, la liberté de dire n’importe quoi, voire de médire, de calomnier ou d’insulter les autres. Il faut entendre la liberté d’exprimer aux autres son point de vue sur les affaires communes. Dans les sciences, c’est la connaissance qui prime et la raison est souveraine. En politique, on ne peut rejeter la croyance car elle participe à l’élaboration de la solution la meilleure : c’est elle qui constitue alors la raison, au moins provisoirement. Tout régime politique qui interdit la liberté d’expression, détruit la liberté de penser, car, sans les autres, sans la confrontation avec leurs idées, nous ne pouvons penser beaucoup et bien penser comme Kant le montrait dans son article Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? (1786). Pour être libre, il faut donc comprendre la valeur de la loi et la vouloir, c’est-à-dire que la liberté repose sur la raison, entendue comme la capacité à prendre en compte la diversité des points de vue pour tenter de dégager celui qui a une valeur universelle.

 

Conclusion.

La liberté n’est donc ni dans le fait de faire ce qui nous plaît ou dans l’absence de contraintes, ni dans le libre arbitre. Elle réside dans une action qui vient de nous, ce qui suppose que nous connaissions les moyens d’agir sur les choses et que nous nous entendions avec les autres pour agir avec eux afin que chacun puisse se réaliser.

 

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